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POÈMES

Lecture libre

LE RÉVEIL

Le lion s'éveilla fourbu au milieu des pavots
Une poussière épaisse entre les griffes
Les pattes endolories comme d'une longue course
       Où ai-je marché Suis-je vraiment ce lion
Il secoua sa crinière la crinière se répandit en perles sur le plancher
      Tiens Ma tête découronnée pèse un chagrin inattendu
Les champs alentours n'étaient plus rouges mais verts
Le lion n'était qu'un agneau
Un parfum subtil et faux flottait dans la campagne
L'agneau n'était que le dindon de la farce
Il ôta ses lunettes vertes et ce fut l'hiver
Les souliers d'argent sonnaient sur le pavé jaune
Le métro ronflait comme une bête souterraine
      Le jour gris embrasse mon front blême
      Oh quel baiser quelle fadeur lugubre
Les vitrines capturaient des images de passants
Les marchands de pacotille s'étaient retirés sous les porches
Les paupières tremblaient
La farce était amère
Et le drôle d'oiseau fut dessillé d'un seul coup
Sur le manteau de la cheminée une poussière épaisse dormait
      On pleure ici pas loin
Dans un coin de la chambre, le magicien poinçonnait les pages de sa pharmacopée
      Qui pleure Ne l'entendez-vous pas
L'oiseau de nuit n'était qu'un pauvre diable
Qui se leva pour aller voir son reflet Mais
Les deux miroirs se faisaient face 

UNE ÉCHAPPÉE

Debout sur la terre craquelée, cinq arbres dressent leurs silhouettes obliques. Penchés en avant, ils semblent fuir, à bout de vitesse et de frayeur. Leur écorce tortueuse paraît figée dans l’élan d’une course éperdue, décisive.
L’impulsion se lit dans les contours de leurs troncs, dans la posture de leurs branches. Immobiles sur la lame de l’horizon, ils sont comme les ombres de cinq fuyards fourbus, pétrifiés à l’instant fatidique où se décide la vie ou la mort.
La chaleur vibrante de midi leur donne presque la palpitation de la vie. Un torrent de lumière se déverse dans le lit asséché de l’oued.
Chaque matin, le jour se lève sur ces cinq évadés qui courent. Comme si le désir des jeunes captives s’était imprimé dans le paysage qu’elles contemplent. Comme si l’appel de la fuite était si fort qu’il avait débordé de leurs regards.

NOUS AVONS LAISSÉ NOS MAISONS

Nous avons laissé nos maisons. Nous avons laissé nos forêts. Nous avons laissé nos morts.

Nous avons levé les yeux au ciel constellé et nous avons cru lire un appel.

Nous avons rêvé vingt-sept fois ; au vingt-huitième rêve, nous sommes partis. Nous avons laissé nos maisons.


Nous avons filé à tombeau ouvert. Nous nous sommes affranchis de l’orbite qui nous subjuguait. Le feu jaillissait de nos semelles. Nous avons parcouru le vide sans peur.  

Dans le noir piqué de clous, nos yeux éblouis voyaient l’or au fond du tamis.


Nous avons promené nos prunelles écarquillées sur des constellations nouvelles. L’étoile gigantesque charriait de formidables masses d’eau et de poussière volantes. Les sphères décrivaient des arabesques que nous ne pouvions pas comprendre.

Tout, de toutes part, criait – criait à nos oreilles – criait le grand secret :

Au monde, vous êtes des étrangers.

FEU DE TOUT BOIS

Feu de tout bois
De toute paille
De tout vent brusque
De tout insecte renversé
Sentes rivières de feu
Aux berges de feu
Feu des forêts primordiales 
Feu des oiseaux comètes sous la chappe d’air lourd
Silence des troncs calcinés
Tracés noirs au tableau noir
Feu des lignes de tournesols
Flambées infimes d’ailes de papillons
Feu de nuit regain à l’aube
Feu rampant sur le sol gelé 
Feu des taillis sans rosée 
Feu de toute ville
Feu des charpentes nues
Évocations de maisons
Râles montant du zoo
Feu des anciennes cathédrales 
Feu des jardins aimés
Des toboggans 
Des frontons et des portiques 
De tout corps pris aux flammes
Derniers feux d’amour là vite
Dernier poème incandescent
Premier vrai poème
Feu de fuite fulgurante 
Sur la Terre ronde 
Feu de toute pierre 
Feu du marbre des tombes feu des poussières faites cendres
Du repos fait braises frémissantes 
Feu des ponts et des routes 
Feu jusqu’aux limites du continent
Feu courant sur la crête blanchie des vagues
Trahison de l’eau 
Impossible feu archaïque 
Feu des yeux levés au ciel
Feux du ciel impassible 
Feu de tout bois sans remède 
De tout buisson ordinaire
Feu de tout cri de gorge brûlée
Seul vrai poème 
Feu de toute matière révoltée
Impatience millénaire d’atomes
Feu de trop-plein
Déséquilibre du monde et de l’antimonde 
Spasme de vive-lumière
Dissipation de chaleur pure
Feu !

Poèmes: Profession
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